Les délices de Tokyo

Les délices de TokyoLes délices de Tokyo

de Naomi Kawase  2016  113 ‘

Japon/ France / Allemagne

 

Synopsis :

Installé dans une petite cahute, en plein coeur de Tokyo, Sentaro vend des dorayakis, des pâtisseries traditionnelles japonaises, constituées de deux pancakes fourrés d’une pâte confite de haricots rouges. Parmi ses clients réguliers, la jeune Wakana, lycéenne, égaie ses journées solitaires. Mais tout bascule quand un jour, Tokue, une dame de 70 ans, propose à Sentaro ses services de cuisinière. D’abord réticent, l’homme finit par accepter de l’embaucher. Bien lui en prend, la recette de la sympathique vieille dame, aussi simple qu’inimitable, connaît très rapidement un vif succès et fait de l’échoppe un rendez-vous incontournable…

La réalisatrice :

Père inconnu. Elle est arrivée au cinéma par hasard, dit-elle. Née en 1969 dans la région de Nara, près d’Osaka, dans l’ouest du Japon, elle est élevée par sa grand-mère, ses parents l’ayant abandonnée. La passion de la jeune fille se fixera sur le basket. Une première manière pour elle de se dépasser. Au bord de devenir professionnelle, elle bascule. «C’est mon entraîneur de basket qui m’a conseillé de me lancer. De faire quelque chose où je me livrerais tout à fait.» Elle a 18 ans et n’a quasiment jamais vu de films. Juste à la télévision. Poussée par son goût pour l’animation, le théâtre de rue, elle s’inscrit au Collège d’arts visuels d’Osaka.

«J’ai voulu voir. En deux ans, j’ai étudié la Nouvelle Vague, les nouveaux auteurs américains… Et quelques œuvres des maîtres japonais. Sans approfondir plus que ça. C’est sans doute mieux parce que je ne me suis jamais sentie écrasée par leur héritage.» Après le diplôme en 1989, elle tourne l’Étreinte, en 1992 ; un film en 8 mm sur les relations avec son père, dont elle est séparée depuis l’enfance. Elle le retrouve pour de vrai à la fin du tournage, mais ne filmera pas la rencontre : «Je ne pouvais pas le faire, mais à travers ma caméra, j’ai fait bouger la réalité. Savoir que mes parents se sont aimés m’a permis de vivre ma vie.»

Exploration têtue. En quinze ans, elle multiplie les films de toute espèce. Autofictions (Moe no Suzaku), documentaires joués (Dans le silence du monde), journal intime (l’Étreinte). Mais c’est toujours le même film. Toujours cette exploration têtue de l’absence, du manque d’un être cher. Elle passe par tous les styles, du cinéma amateur au vidéo art. Par tous les instruments, du super 8 au 35 mm en passant par la vidéo. De l’autoportrait aux collages de natures mortes. Son instrument privilégié semble pourtant le documentaire, qu’elle triture, poétique, romantique, impressionniste.

«Je cherche à laisser une trace dans ce monde et à faire coïncider ce désir avec ce moyen d’expression qu’est le cinéma.»

Filmographie ( fictions) :

  • 1996 : Suzaku
  • 2000: Les Lucioles
  • 2003: Shara
  • 2007: La Forêt de Mogari
  • 2008: Nanayomachi
  • 2009: Koma
  • 2010: Genpin
  • 2011: Hanezu, l’esprit des montagnes
  • 2011: 60 Seconds of Solitude in Year Zero (un segment d’une minute du film collectif)
  • 2014: Still the Water
  • 2015: Les Délices de Tokyo

Critiques :

Tout en menant ce récit avec simplicité et candeur, Naomi Kawase (Still the water)ne cesse d’y chercher matière à une élévation. Elle reste ainsi ­fidèle à l’élan de spiritualité qui parcourt son cinéma, mais trouve, à tra­vers le personnage de Tokue, une ­manière plus émouvante d’exprimer sa foi en des forces invisibles présentes dans notre monde quotidien. La spécialiste des dorayakis n’a pas son pareil pour recommander d’écouter ce que racontent les haricots rouges ou les feuilles de cerisier. Elle ouvre un chemin vers la grâce et la possibilité de surmonter les épreuves. Et Naomi Kawase nous fait, avec ferveur, passer d’une recette de cuisine à une leçon de vie.   TELERAMA

On retiendra par ailleurs que contre la longueur habituelle de ses plans, le découpage beaucoup plus prononcé et le montage beaucoup plus rapide des Délices de Tokyo lui permettent d’acquérir une légèreté rarement perceptible jusqu’ici. On retrouve cette liberté dans le choix de son sujet, la cuisine, qui permet à Kawase de se libérer d’un trop-plein de gravité. La préparation des haricots par Tokue est d’ailleurs une des plus belles scènes du film. On y retrouve toute l’attention précieuse de Kawase ; mais à la pesanteur habituelle, généralement celle de la nostalgie, c’est désormais une joie frémissante qui prédomine.  CRITIKAT

Certes, Naomi Kawase n’a pas perdu son talent – elle filme très bien les pensées de son personnage principal, Masatoshi Nagase (qu’on avait déjà vu dans des films de Yoji Yamada, Sono Sion et Jim Jarmusch) – mais pourquoi se sent-elle obligée de tout surligner, de tout expliquer, voire de tout surexpliquer sans cesse, parfois plusieurs fois, à coups de petites musiques tristes, de dialogues inutiles et répétitifs qui ne font que décrire ce que l’image montre si bien : qu’un cerisier en fleurs filmé par Kawase, c’est beau, par exemple, et qu’il n’y a aucune nécessité à le faire dire par un personnage… On dirait que le surfilmage admirable de ses débuts a peu à peu laissé place à un surdiscours étouffant. Alors que la cinéaste nippone sait si bien filmer la nature, le soleil qui se diffracte à la surface de l’objectif !

On aurait presque envie de nettoyer le film de ses mots et de ses petites notes de musique, de tout ce qui nous empêche de profiter pleinement de ses moments les plus beaux, qui n’ont pas besoin d’exhausteur de goût. Kawase aurait-elle perdu la foi dans le pouvoir évocateur du cinéma ? A-t-elle peur que le spectateur contemporain ne la comprenne pas ? Heureusement, les films des vrais cinéastes résistent à leurs moments de faiblesse : c’est le cas des belles Délices de Tokyo.  LES INROCKS

À propos du Japon, déjà, il y avait cet exemple fameux où un critique s’émerveillait de se découvrir sensible, et même profondément concerné par le sort de gens aussi éloignés de sa vie réelle que des aristocrates nippons à l’époque médiévale. Du moins les personnages de L’Intendant Sansho de Kenji Mizoguchi affrontaient des épreuves et des tourments qu’il était possible de transposer imaginairement dans des contextes plus familiers. Mais le sort réservé à de la pâte de haricot rouge!

C’est le miracle du film de Naomi Kawase, qui vient prouver de façon apparemment modeste et donc d’autant plus éclatante cette vérité du cinéma: il n’y a pas de petit sujet, il n’y a pas de récit infilmable, et il n’y a pas non plus, malgré tous les fossés historiques, géographiques et culturels, d’étrangeté rédhibitoire, de fossé infranchissable –à condition d’accepter qu’on perd, ou rate toujours quelque chose au franchissement dudit fossé.

Des tribulations microscopiques entre un marchand de pâtisseries traditionnelles installé dans une échoppe elle-même minuscule et une vieille dame un peu fofolle qui tient mordicus à y préparer ces friandises appelées dorayaki, la réalisatrice de Still the Water fait une fresque. Une épopée de l’écumoire, une légende de la gamelle, une métaphysique de la cuisson lente.    Neue Vision Film

Ce contenu a été publié dans Les fiches de films 2016-2017. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *