Analyse filmique

Le jeudi 21/02/19 à 18h30 à la MJC

Analyse filmique

Nuages épars/Le secret magnifique   – NARUSE/ SIRK

 

1/ COMMENCER ET CLÔTURER UN FILM

A/ L’incipit

De l’efficacité du récit chez Naruse.

Ce cinéaste était réputé pour être très bien vu des studios, car il tenait ses délais, utilisait peu de techniciens à qui d’ailleurs il donnait peu d’indications et jamais le découpage du film avant ou pendant le tournage. Kurosawa témoigne de son expérience sur un de ses films en tant qu’assistant, où il s’endormait tant il avait peu à faire… C’est au montage que toute l’équipe se rendait compte de la conception du film et de sa cohérence, tant Naruse avait l’oeuvre dans sa tête.

Le début de NUAGES EPARS est très révélateur de sa manière de filmer, utilisée tout au long de sa carrière, et que nous allons tenter de décrire ensemble.

1’46 Premier plan

On découvre un plan fixe progressivement éclairé et soigneusement composé. Il joue immédiatement sur la profondeur de champ, comme il le fait souvent dans l’oeuvre. On découvre des logements modernes, assez uniformes, avec des personnages au loin qui ressemblent à une famille. Yumiko sort d’un appartement : sa tenue révèle un milieu social assez aisé.

Sa démarche révèle de l’enthousiasme. Pour Naruse, les gestes sont aussi, voire plus révélateurs des sentiments des personnages que les dialogues, peu nombreux.

La caméra la suit par un léger panoramique qui l’accompagne en douceur.

2eme plan :

La même profondeur de champ révèle la nature environnante, on n’est donc pas en ville.

3eme plan :

Le train qui surgit confirme cette première impression, puisqu’il annonce la banlieue. (notons au passage que Naruse joue le dépouillement mais met en place de subtils échos entre les scènes, ici le train que l’on retrouvera à la fin du film, en sens inverse).

4eme plan :

Yumiko dans le wagon en train de jouer, en plan rapproché-> on comprend son amour des enfants.

La couleur de sa tenue,dans un rose un peu pâle, en harmonie avec celle de la tenue de l’enfant crée une complicité entre les deux.

5eme plan :

Une infirmière passe : on est donc à l’hôpital, Yumiko sort radieuse. On entend des pleurs de bébés.

On trouve là la manière spécifique de Naruse de construire son récit en ne montrant pas directement les événements mais plutôt les conséquences de ceux-ci. Le cas le plus emblématique dans ce film est l’accident de Hiroshi , qui n’est pas montré.

6eme plan :

Dans la gestuelle à nouveau, la dynamique de la marche, le balancement du sac on comprend la joie du personnage. Rien n’est dit sur la grossesse, mais le spectateur a déjà compris ce fait par l’unique enchaînement des plans et leur dialectique. Le décor, très moderne, suggère la grande ville et son architecture, cet aspect est important car le film va opposer la modernité de la capitale aux moeurs paysannes. C’est aussi une manière de mettre en valeur les créations japonaises,ici en architecture,car Naruse est un fervent patriote, on le voit lors d’un échange entre le beau frère de Yumiko et son fils au début du film.

7eme plan :

La marche de Hiroshi, dans la même échelle de plan, avec le même dynamisme , fait écho à celle de Yumoki. La ligne de composition de cette marche et le fait qu’il soit de face, préfigure la rencontre, les retrouvailles. On découvre d’autres aspects de la ville, de sa modernité. Les plans sont toujours fixes et soigneusement composés.

8eme plan-> reprend le dynamisme du précédent, et nous fait découvrir la ville de Tokyo.

9eme plan :

Même composition que celui avec Yumiko, leur trajectoire se confond.

10eme plan :

Yumiko au restaurant. Elle regarde l’heure, suggérant le RDV . A l’intérieur, comme souvent dans le film, les parois transparentes créent un espace complexe, où on se voit sans être nécessairement dans la proximité affective. Ici la porte d’entrée en profondeur, le panneau à gauche, le rideau à droite créent autant de lieux de transparence qui communiquent en créant une fausse impression d’intimité.

11eme plan :

Arrivée de Hiroshi, on découvre l’enseigne du restaurant.

12eme plan :

Hiroshi en plan rapproché, il sourit.

1 3eme plan :

L’ordre de mission. 3’06

Cet incipit a duré en tout et pour tout 1’20 ! On comprend pourquoi on a pu parler d’efficacité dans l’art du récit et aussi d’épure pour ce cinéaste, qui ne présente au spectateur que l’essentiel, sans dialogue ni musique, juste par l’art d’agencer les plans, très courts, avec beaucoup de fluidité ,et de diriger ses comédiens dans leur gestuelle. Cet aspect minimaliste correspond  à la culture japonaise, mais on a pu parler aussi, pour Naruse de l’épure d’un Antonioni par exemple, dont on retrouve ici l’utilisation du son, réaliste, mais qui instille, par l’absence de musique ou de sons parasites, une espèce de tension, malgré le bonheur apparent des personnages.

  B/ L’excipit

1H32’56

Cette scène se situe juste aprés que Yumiko ait rejoint Shiro à son domicile. Naruse ne montre pas la scène sexuelle mais plutot ce qui s’ensuit, bien que cela puisse aussi être une séquence sans que rien  ne se soit passé entre eux , mais nous verrons tout à l’heure que le doute est peu possible. Cependant l’ambigüité demeure, conséquence de l’art de l’ellipse du cinéaste.

Les deux personnages sont cadrés en plan rapproché, la musique de la séquence précedente crée le raccord. Bien qu’ils soient dans le même plan et de face, ce qui est très rare dans le film, les deux personnages semblent déjà bien loin l’un de l’autre…Lui est soucieux, il fronce les sourcils, elle regarde vers le bas.

1H33

 Le plan d’ensemble suivant nous montre leur voiture dans la nature, la ville a défilé en arrière plan du plan précédent, et ils traversent un pont, métaphore de la ligne qu’ils s’apprêtent à franchir en faisant leur vie ensemble.

1H33’04

La caméra est cette fois dans la voiture, adopte un point de vue subjectif, celui des deux passagers.Ce choix donne au plan un léger tremblement, alors que l’on a vu à quel point les plans du cinéaste étaient extrémement composés et cadrés avec rigueur…. Ce léger tremblement devient en quelque sorte l’expression de la profonde tristesse qui affecte déjà les personnages ; conscients avant même de le vivre , de l’impossibilité de leur amour.

On découvre alors le paysage seulement à travers les arbres et une route qui débouche, en profondeur sur un feu rouge signalétique des trains.

On découvre ici une technique de Naruse, qui bien qu’apparemment très simple dans sa conception des plans , crée à l’intérieur du film de subtils échos qui lui donnent sa cohérence et je dirais aussi ici sa note tragique. Nous avons en effet vu ces feux rouges dés le début du film , lorsque Yumiko rentrait chez elle, juste avant que son beau frère apprenne la mort de son mari au téléphone.On était alors à 3mn de film à peu prés… Le retour de ces feux n’augure rien de bon alors que les deux personnages sont prés du bonheur, ils sont comme l’avertissement du tragique de leur situation.

Le train qui passe est également une figure récurrente du film ; train de banlieue au début, passage ici, et enfin train final qui va emporter Shiro loin de Yumuki.

Dans ce plan, malgré le sourire de Yumiko, la séparation, outre les feux rouges, est également soulignée par la composition du plan : la carrosserie de la portière  scinde celui ci en deux espaces hermétiquement clos, accentués par le sur-cadrage à l’intérieur du plan.

Après le regard du chauffeur de taxi, les plans isolent maintenant les personnages dans des plans plus rapprochés qui trahissent leur gêne, on est loin du voyage idyllique tant attendu !

Les plans de coupe sur les rails du train et les wagons, accentués par le son qui a remplacé la musique romanesque de TAKEMITSU, résonnent comme autant de ruptures entre eux.

Lorsque la voiture redémarre et que nous retrouvons le plan du début de la séquence, quelque chose s’est brisé entre eux. La route sinueuse dans la nature est comme l’image de leur relation complexe, enfouie et pleine de désirs profonds au devant desquels ils se dirigent, mais ils vont devoir confronter la réalité de leur histoire et le poids des souvenirs. Le retour de la musique, après le bruit des rails, accentue la sensation de tristesse profonde des personnages.

Les regards qui ne parviennent pas à se croiser après s’être si longtemps cherchés ( cf plus loin) , sont aussi une manifestation de cette impossibilité de s’aimer, avant même que ne surgisse l’accident.

1H35’03 Le regard des personnages à l’arrière montre à nouveau l’utilisation de la profondeur par le cinéaste. Ici , la voiture en fond est aussi l’image de leur passé qui les attire vers l’arrière , et de l’impossibilité d’aller de l’avant avec , au sens propre, cet accident derrière eux.

Le profond silence qui accompagne leur baiser fougueux et bien sûr le son de l’ambulance ne seront que  la confirmation de ce que les plans précédents nous avaient déjà fait comprendre. L’économie de moyens est ici d’autant plus remarquable qu’il n’y a aucun dialogue. On peut apprécier la qualité du jeu des acteurs, et comprendre ainsi pourquoi tant d’actrices japonaises voulaient absolument tourner avec ce cinéaste qui met si bien en valeur leur jeu et leur subtilité. Ici , les sentiments restitués notamment par Yoko Tsukasa , sont remarquables.

Il est intéressant de voir que Naruse choisit de nous montrer l’accident à la fin du film et pas au début, comme si ce qui était au départ un élément du récit dont il pouvait faire l’ellipse, devenait un élément incontournable de ce qui est devenu , non plus un fait divers, mais une véritable tragédie qui « prend corps ». Le poids du souvenir, souligné par la reprise du plan sur la voiture, est alors plus grand que la force de l’amour, et la culpabilité ,insurmontable.

Dés lors les mots sont inutiles, dans le décor intérieur fait de cadres comme autant de figures d’enfermement, seul le « PARDON » de Yumiko qui renonce à l’aventure, peut résonner.

D’eux deux on ne voit plus que le dos, autre figure récurente du cinéma de Naruse. Ainsi dans son film le plus célèbre : NUAGES FLOTTANTS , la scène finale nous montre un homme en pleurs aprés le décés de sa maîtresse( Figure extrêmement rare dans le cinéma japonais!!) , figure de chagrin et de  pudeur.

La fin de la scène en sera plus qu’une ébauche d’explication et de simulacre de vie conjugale , autour d’une chanson qui réunit les cœurs et vante les mérites du Japon, que Naruse, traumatisé par la défaite de la 2eme guerre mondiale, a toujours défendu dans ses films.

1H43.

Les deux plans finaux sont particulièrement émouvants, d’abord parce que ce sont les derniers tournés par le cinéaste.

On y retrouve la musique superbe de Takemitsu.

La caméra colle au profil de l’héroïne et l’accompagne au bord du lac, lieu romantique par excellence, on y reviendra tout à l’heure, et peut être réminiscence du lac de Sirk. La lumière douce de fin de journée, ou de début ? Cela dépend de l’interprétation et de  l’optimisme de chaque spectateur….

Le plan s’ouvre en plan d’ensemble sur le paysage magnifique, symbole à la fois de ses perspectives peut être , mais aussi de ses sentiments les plus profonds. Le mouvement du vent sur l’eau qui amène les ondes vers elle, reflète peut être la force des sentiments et du désir que Yumiko vient là enfouir, comme ses souvenirs…fait remarquable, ce plan dure presque 20 secondes, ce qui est exceptionnel chez le cinéaste comme nous l’avons vu. Le temps est comme arrêté dans ce plan qui garde une part de mystère mais nous touche au plus profond par son intense beauté, comme le cinéma de Naruse.

On vient donc de voir que ce cinéaste se caractérise par un sens profond du cinéma, du rythme des plans, de l’ellipse au service d’un récit subtil qui analyse la force du désir sous jascente dans une société par ailleurs extrêmement policée où la femme est la première victime des conventions, mais où l’homme n’est pas mieux loti… cette force du désir et la difficulté à l’exprimer, se retrouve également dans le thème du regard et dans le traitement des espaces dans l’oeuvre.

2/INTERIEURS EXTERIEURS

L’efficacité et la beauté des films de Naruse ne tient pas qu’à l’art de conduire un récit dans l’enchainement des plans et la précision des cadrages, il tient aussi à la finesse dans l’utilisation des thèmes qui jalonnent son récit. Ainsi par exemple, le traitement subtil de l’espace .

 LES INTERIEURS

On l’a vu, le film nous montre des extérieurs urbains très modernes, mais le cinéma de Naruse n’est pas naturaliste, nous avons peu de détails sur la ville de Tokyo par exemple, sur ses quartiers. En revanche il y a beaucoup de scènes d’intérieur, pour des contraintes budgétaires que le cinéaste transforme en atout narratif.

Ainsi, les scènes de restaurant sont nombreuses et suivent toutes le même choix esthétique.

On y trouve beaucoup de vitres qui délimitent les espaces « privés », mais sont aussi autant d’obstacles à la relation, tout comme les incursions dans le champ ou hors champ, du personnel qui viennent troubler l’intimité et empêcher la discussion. Même le décor, la fleur posée sur la table, s’immisce entre les deux personnages.

Et même lorsque Yumiko et Shiro ont un semblant d’intimité dans l’auberge, un motif (la porte et les montagnes) vient faire écran à leur lien éventuel.

Il est intéressant de noter que les scènes d’intérieur sont toutes filmées à partir de ceux-ci et que la caméra ne part jamais de l’extérieur pour nous amener à les découvrir, alors que pour les extérieurs c’est souvent le cas. La démarche est donc toujours de l’intérieur vers l’extérieur comme si c’était l’intimité des personnages qui guidait le récit. On est avec eux, sans la distance d’un narrateur extérieur qui nous indiquerait le sens du récit, tous les éléments du décor sont profondément liés à l’intimité des personnages.

C’est le cas également dans le traitement des décors extérieurs.

LES EXTERIEURS

On l’a vu, Naruse film un peu la ville de Tokyo, mais il est surtout réputé pour son choix d’évoquer les gens modestes et notamment les paysans dans NUAGES D’ETE par exemple. Ainsi, les scènes d’extérieur se déroulent essentiellement dans la nature pour notre film.

Le lac de TOWADA, bien sûr, tient une place majeure dans ces décors. Outre le plan final évoqué tout à l ‘heure, il est au centre de scènes joyeuses et colorées.

Accompagnées par la musique de TURU TAKEMISU, les scènes de flash back font de ces plans de nature le reflet du bonheur passé de Yumiko.

Et son retour sur place s’accompagne de ces couleurs et de ce sentiment de bien être, même si sa tenue est plus neutre au niveau des couleurs :

 

Le jeudi 26/01/17 à 18h15 à la MJC

Analyse filmique

La représentation des ouvriers dans le cinéma des années 30

Comme chaque année, dans le cadre du partenariat qui lie le ciné-club biterrois et la MJC, une séance d’analyse filmique aura lieu autour du thème de la représentation des ouvriers dans le cinéma des années 30.

A partir de l’analyse de quelques scènes de films, et en hommage au front populaire, nous envisagerons comment le monde du travail est présenté au cinéma dans cette période importante de changements sociaux.

Les extraits seront pris dans trois films majeurs de cette période :

A NOUS LA LIBERTÉ de René Clair – LES TEMPS MODERNES de Chaplin – LE CRIME DE MONSIEUR LANGE de Renoir.

A nous la liberté

les temps modernes

le crime de M. Lange