
de Chloé Mazlo ( 1h30 ) France 2021
Fiche technique : Avec Alba Rohrwacher, Wajdi Mouawad,
Synopsis :
Alice, toute jeune fille Suisse, se rend au Liban pour y officier entant que Nurse
Réalisateur :
Premier film de Chloé Mazlo, actrice, plasticienne, dont l’approche du cinéma par des courts métrages l’a amenée à explorer différentes techniques : du muet au parlant, du noir et blanc à la couleur, de l’animation à la prise de vue en réel sans négliger ses scénarios on peut citer « Asmahan la diva » sur la vie et la disparition mystérieuse de cette comédienne chanteuse de comédies musicales égyptiennes et « Les petits cailloux », portrait d’une jeune femme.
L’interview : Peut-on dire que votre film est aussi une tentative d’apaiser certaines blessures ressenties par les enfants d’immigrés ?
En tant qu’enfant d’immigrés libanais, on est dans une position ambiguë, parce que nous n’avons pas souffert physiquement de la guerre. On a souffert du déracinement et du manque de chaleur familiale. On cherche tout le temps une légitimité et on compose avec une nostalgie pour un pays qu’on ne connaît pas, mais qu’on nous a transmise.
Seriez-vous d’accord pour dire que votre film fait écho aussi aux événements qui ont eu lieu récemment au Liban ?
Alors que nous étions en pleine préparation du film, le 17 octobre 2019, une révolution a éclaté au Liban. La population s’est retrouvée dans la rue, toutes communautés confondues, demandant le changement du gouvernement. L’équipe s’est mise à suivre de près les événements, enthousiaste, car ce mouvement s’annonçait prometteur. On sentait une énergie nouvelle, le pays au croisement d’un nouveau chemin. Nous ne pouvions pas occulter ces événements. Alors, avec le compositeur Bachar Mar-Khalifé, nous avons modifié le texte de la chanson de Mona pour lui donner plus de résonance avec l’actualité. Pour la scène de manifestation, nous avons glissé des slogans apparus quelques jours auparavant à Beyrouth… C’était joyeux, et en même temps désespérant de voir que plus de 40 ans plus tard, le pays était encore en train de lutter pour les mêmes envies (un État laïque, de l’eau potable, de l’électricité…), et contre les mêmes familles de politiciens corrompus. Plusieurs fois au cours du tournage, avec les comédiens, on s’est mis à rêver que le Liban allait redevenir un paradis, notre paradis. Depuis le studio, dans l’appartement des Kamar, notre îlot fictionnel, on faisait des projets de voyages à la rencontre des familles de chacun, à la découverte de nouveaux lieux, de nouveaux plats délicieux…
Vous privilégiez les plans d’ensemble…
J’avais en tête des photos de famille qui s’animent. Pour la déco, nous sommes partis d’éléments biographiques, comme le piano blanc, qui était celui de ma famille et qui nous permettait d’avoir un ancrage dans le réel.
Existe-t-il un imaginaire typiquement libanais ?
Oui. Il existe surtout un humour libanais. Les Libanais font des blagues ! Ils parlent aussi beaucoup par métaphores, par images. Le personnage de Georges dans le film est emblématique de cela.
Quand j’étais petite et que j’apportais un dessin à mon père, il me demandait toujours : « C’est joli, où l’as-tu acheté ? ». Je lui expliquais que j’en étais l’auteure et il insistait : « Mais où as-tu trouvé l’argent pour acquérir ce dessin ? ». Ce jeu durait un certain temps et moi, je le prenais au sérieux, et lui apportais mes crayons pour lui prouver que j’avais bel et bien réalisé ce dessin. Et là, à l’issue d’une projection du Ciel d’Alice, deux amis libanais m’ont dit : « Ce n’est pas toi qui as fait ce film… » !
Critiques :
C’est un merveilleux rêve éveillé auquel nous convie la réalisatrice Chloé Mazlo pour un premier film d’une merveilleuse délicatesse poétique. Le rêve d’un paradis perdu qui n’existe que dans le souvenir de celles et ceux qui l’ont connu et qui disparaîtront bientôt. Il faut dire que les aïeux de Chloé Mazlo viennent d’un pays qui fut symbole d’harmonie sur terre et qui a synthétisé tous les contrastes et toutes les contradictions : le Liban fut dans l’entre deux guerres un protectorat français que toutes celles et tous ceux qui l’ont connu rattachaient à une idée du bonheur parfait, et cela perdura après l’indépendance, jusqu’au milieu des années 1970. Mais depuis un demi siècle, le pays est tombé du côté du pire : des guerres civiles successives terribles et fratricides – incompréhensibles aux yeux de beaucoup – qui ont endeuillé la plupart des familles, et en corollaire une gabegie dont l’acmé fut l’explosion du port de Beyrouth, due à une succession d’invraisemblables négligences, conséquence de la corruption généralisée. Une histoire libanaise dit que Dieu aurait créé le paradis au Liban avant de réaliser qu’il préférait le récupérer pour l’au-delà… Utopia
Chloé Mazlo peint le portrait d’une famille prise dans la tourmente. Elle filme le destin d’un peuple pluriel qui résiste, grâce à sa force intérieure. L’image est tout en douceur, alors que sévissent la guerre, les attentats, les perquisitions. Le fossé entre le contexte guerrier et sa représentation sucrée créé un climat surréaliste. Chloé Mazlo traduit par l’image cette confiance sereine en soi et envers les autres dans l’adversité. Ce qui fait tout le sel du Ciel d’Alice. France tv