Tirez la langue mademoiselle
(2013) France d’Axelle Ropert (1 h 39)
Synopsis
Boris et Dimitri sont inséparables. Ils sont frères et médecins dans le même cabinet situé dans le 13e arrondissement de Paris. Une nuit, les deux frères sont amenés à soigner Alice, une petite fille diabétique que sa mère, Judith, serveuse dans un bar, est contrainte de laisser seule chaque soir à la maison. Boris et Dimitri tombent tous deux amoureux de la jeune femme qui élève seule sa fille.
Critiques:
Une extrême sensibilité voilée d’élégance : c’est ce qui séduit dans la chronique de ce triangle amoureux, qui mêle action et rêverie, en s’appuyant sur la facture littéraire des dialogues. La joie et la tristesse vont de pair, le bonheur des uns faisant le malheur des autres. Point de cruauté volontaire ici. La devise de Tirez la langue, Mademoiselle, émaillé de ping-pong réel comme verbal, pourrait bien être : du fair-play, en toute chose ! — Jacques Morice (Telerama)
Rares sont les films qui, gravitant au bord des pires escarpements – la solitude amoureuse, la maladie, l’alcoolisme –, n’en profitent pas pour menacer au moins un peu leurs spectateurs. Et pourtant, Tirez la langue n’est ni désabusé ni édifiant. Au contraire, il est moral, vaillant, positif : c’est un vrai western d’arrondissement parisien, où les médecins de quartier remplacent les shérifs, où la direction artistique, colorée et cotonneuse, s’en remet au charme un peu ingrat du XIIIème arrondissement de Paris, et où la maladie, l’addiction, le chagrin, ne sont jamais le prétexte à renfermer les personnages sur eux-mêmes, mais sont toujours l’occasion de communiquer un peu plus avec son prochain, de partager avec l’autre le poids de l’existence (Critikat)
C’est donc un duo insolite et réglé comme du papier à musique, qui s’harmonise avec la population environnante, ainsi qu’avec l’esprit d’un arrondissement qui se révèle, socialement, ethniquement et architecturalement l’un des plus hétérogènes de Paris. Soit une zone de résistance tranquille à la gentrification galopante de la capitale, une sorte d’enclave moderne et provinciale à la fois, peu désirable et peu désirée, les cinéastes français n’y posant jamais, par on ne sait quelle fatalité, leur caméra. (Le Monde)
Ropert, elle, sort des rails et invente autre chose que les conventions routinières. Forcément, au début, ça fait bizarre, comme le vrai goût du raisin fermenté quand on est habitué à boire du jus de bois. Regardez, par exemple, comment elle ne fait que jongler avec de l’économique dur et triste, avec une parfaite lucidité, tout en évitant les oripeaux du “film français social”. Ou comment elle déleste notre cher et moche XIIIe arrondissement de son ambiance cliché de fiction polardeuse au profit d’une réalité résidentielle autrement plus passionnante. Cette portion de Paris (souvent filmée, en fait, mais presque toujours mal), les comédiens venus de partout, et les classiques ingrédients de fable sociale ou de mélodrame sirkien ont l’air d’avoir été décapés avec une extrême douceur, littéralement rendus à eux-mêmes. Et puis, je ne savais pas que Louise Bourgoin pouvait être si intéressante… Frédéric Bonnaud (Inrock)
Axelle Ropert, a commencé comme critique de cinéma (La lettre du cinéma, Les Inrockuptibles). Elle travaille aux scénarios des films de Serge Bozon (Mods, La France, Tip Top). Elle réalise en 2004 un moyen métrage, Etoile violette, avec Lou Castel, suivi de son premier film, La Famille Wolberg, en 2008, avec François Damiens et Valérie Benguigui.
ENTRETIEN :
Comment est née l’histoire de Tirez la langue Mademoiselle ?
De longues rêveries devant mes fenêtres. J’adore Paris, j’habite dans le 1 3ème arrondissement, à la frontière du quartier chinois, un territoire qui a été peu filmé. C’est un quartier anodin en apparence, et même moche quand on ne le connaît pas et qu’on ne fait qu’y passer, pourtant c’est un espace très cinématographique. Y tourner ce film, c’était révéler les éléments cachés de cet endroit, la beauté secrète des HLM et des grandes tours quand elles sont vraiment regardées. C’est une beauté qui n’est pas immédiatement frappante, mais qui « remonte » quand on fait l’effort de la chercher.
Tirez la langue Mademoiselle est-il un film d’amour ?
Oui, l’amour au sens le plus romantique du terme. Emporté, entier, et courant même le risque du ridicule. La figure de la médecine dans le film est d’ailleurs une figure professionnelle, quasi naïve de l’amour. Mes deux médecins, frères et héros de l’histoire, sont très concrets, très classiques. Ils exercent la médecine au sens le plus habituel, mais aussi le plus idéalisé du mot, c’est-à-dire : prendre soin des autres.
Vos deux héros dissemblables font face à une femme, une héroïne au physique lui aussi très déterminé.
J’ai proposé le rôle à Louise Bourgoin parce qu’elle est atypique dans le cinéma français. Elle est très grande, très charpentée, elle a des traits forts, son visage est celui d’une madone, mais d’une madone espiègle, qui ne penserait pas seulement à Dieu et qui aimerait faire des blagues. J’aime ce tempérament très vigoureux qu’elle possède et qui la rapproche de certaines actrices anglo-saxonnes comme Jane Russell, Jeanne Crain ou Nicole Kidman. Et face à ces deux frères qui sont fragiles, il fallait mettre une femme qui ait cette forte stature, cette présence. Dans leurs vies, son irruption fonctionne comme une collision.
Quelle est la couleur de ce personnage puissant ?
C’est une femme » rouge » et une femme de la nuit. Ca va bien ensemble. Vêtue de rouge, l’héroïne devient un personnage saillant. On la voit dans la ville grise. Elle est remarquable. C’était aussi simple que ça. Une raison visuelle. Mais c’est aussi une femme de la nuit. Pleins de discrets indices l’assimilent à ça, à une déesse nocturne : une chouette collée sur sa porte d’entrée, de minuscules petites lunes dessinées sous ses yeux quand elle se maquille pour son travail…
La nuit est-elle un écrin particulier pour tous vos personnages ?
Ces personnages qui ont l’air d’exercer leurs métiers de façon traditionnelle et d’être rangés mènent en fait une vie à l’envers. Ils ont un côté » retourné « . Ils vivent autant la nuit que le jour. Je voulais aussi montrer un aspect nocturne loin de toute mythologie habituelle de la nuit, loin de la fête, de la transgression, de la subversion. La nuit, dans mon film, c’est le moment propice à la confidence et l’abandon, ce sont des moments où on peut tout se dire et quand le matin arrive, on a les yeux qui piquent. La nuit comme petit écrin miteux et merveilleux, comme une ampoule mal accrochée qui grésille, s’allume et s’éteint.
Les personnages déclarent rapidement et à haute voix leur amour, sous une forme étonnamment directe...
J’aimerais que dans la vie, on se dise les choses, comme ça on gagnerait beaucoup de temps ! Je suis très marquée par les films de François Truffaut où, quand un personnage est amoureux d’un autre personnage, il ne prend aucune précaution, il le dit publiquement, il crée une espèce de scandale comme à la fin de Baisers volés. Ca m’a marquée à tout jamais. C’est généreux, violent, sauvage et j’aime l’idée que l’amour est asocial et ne s’embarrasse ni de préjugés, ni de délicatesse.