Tabou
de Miguel Gomes (1h50)
Portugal, Allemagne, France, Brésil (2012)
Fiche technique
Scénario : Miguel Gomes, Mariana Ricardo. Photographie : Rui Poças. Son : Vasco Pimentel. 1er assistant : Bruno Lourenço. Montage : Telmo Churro et Miguel Gomes. Avec : Ana Moreira, Teresa Madruga, Isabel Cardoso, Laura Soveral, Manuel Mesquita, Carloto Cotta, Henrique Espirito Santo, Ivo Müller
Prix Berlinale 2012 : Prix de la critique internationale FIPRESCI et Prix de l’innovation Alfred Bauer
Synopsis :
L’histoire débute … Lisbonne, de nos jours, et entrecroise les vies de trois femmes. Aurora, une vieille dame excentrique qui perd la tête accuse Santa, sa bonne capverdienne, de « faire du vaudou » et envahit Pilar, sa voisine de palier, une retraitée dévouée aux causes humanitaires. Quand Aurora meurt, Pilar et Santa découvrent un épisode de son passé : une tragique histoire d’amour au cœur de l’Afrique, peu avant la guerre de colonisation portugaise. Cette histoire commence par ces mots : « Aurora avait une ferme en Afrique au pied du mont Tabou. »
Miguel Gomes est né à Lisbonne en 1972. De son parcours, émerge une série de paradoxes. Il fait des études de cinéma { l’Institut cinématographique et théâtral de Lisbonne mais, déçu de l’absence d’une section « réalisation », il préfère fréquenter les bars du quartier et se retrouve avec les « mauvais élèves », dans la section « production ». Il travaille comme critique de cinéma pour la presse portugaise (notamment la revue Publico) entre 1996 et 2000 mais se présente comme un cinéphile plus intuitif qu’analytique. Il vient à la réalisation en 1999 avec un premier court métrage : Entretanto, qu’il juge rétrospectivement raté car trop maîtrisé. Il n’aura de cesse ensuite, et notamment dans ses trois longs métrages, de créer les conditions du surgissement de l’imprévu. La Gueule que tu mérites (2004), Ce cher mois d’août (2008), sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes et Tabou reflètent, chacun { sa manière, cette recherche de l’équilibre entre maîtrise et improvisation.
Critiques
« Tabou réussit à tresser les deux extrémités a priori injoignables du cinéma : son innocence primitive et sa distanciation postmoderne. On ne parlera pas de chef-d’œuvre ou de monument, plutôt d’un film vaudou, d’un aérolithe noir chu de l’un des imaginaires les plus féconds et cinésensibles du moment. Du cinérêve, de la pure magie. » (Les inrockuptibles )
« Grandeur et puissance d ‘un empire perdu, d’un amour meurtri et d ‘un art éteint , celui du cinéma muet. Il s ‘agira donc ici de croyance et de mélancolie , d’image et de mémoire , confrontées { la représentation de l ‘Histoire et à l ‘art du récit . Il en ressort l’un des triptyques les plus insolites et envoûtant qu’on ait vus depuis longtemps. » (Le Monde )
« Tourné en format 4/3 et dans un noir et blanc granuleux, pour une relecture sous forme d’hommage des codes du muet (avec une référence, { travers le titre du film, au cinéma de Murnau), Tabu est une formidable boîte à histoires. Comme un lointain cousin des Mystères de Lisbonne de Raúl Ruiz, Miguel Gomes se permet d’emboiter les récits comme une chaine continue pour mieux plonger dans une matière fantasmatique de cinéma . La narration se tisse au gré des histoires que le cinéaste raconte , mais aussi et surtout à travers celles que les personnages se racontent. Gomes déploie avec une liberté folle tout un formidable éventail de régimes de récits (histoires rapportées par les personnages, film dans le film, lettres, livres, légendes ou contes, prophéties), pour un émerveillement romanesque de tous les instants. »( Berlinale im Dialog)
« Tabou est de ces films où l’on n’a pas besoin d’en connaître grand -chose pour les découvrir . Savoir seulement que, comme Ce cher mois d’août , mais aussi comme Holy Motors, Cosmopolis ou Oncle Boonmee, son charme repose sur un lâcher-prise de la part du spectateur . Se rendre disponible à lui , avec toutes les circonvolutions émotionnelles que cela implique ; foncer dans la gueule béante du crocodile qui, de son œil vert, nous invite à le suivre. »(Critikat )
Interview
Quel a été le point de départ du film ?
Le fait que j’ai dans ma famille une personne qui a plusieurs points en commun avec le personnage de Pilar. Elle a toujours vécu seule, elle est catholique pratiquante, aime aller au cinéma (c’est elle qui m’a amené voir des films quand j’étais enfant), elle passe sans cesse d’une activité humanitaire à une autre. Elle m’a raconté l’histoire de sa rel ation avec une voisine sénile et quelque peu paranoïaque , qui se réfugiait souvent chez elle, accusant sa femme de ménage africaine de l’enfermer dans sa chambre la nuit ainsi que d’autres mauvais traitements . Rien de tout cela n’ayant jamais été prouvé . J’ai été intéressé par ces trois femmes solitaires, sexagénaires ou octogénaires, qui malgré leurs tempéraments forts et singuliers sont des personnalitées profondément ordinaires que nous pourrions rencontrer dans la vie quotidienne. Des personnages que nous ne rencontrons habituellement pas dans les films.
Quel rôle a joué l’oeuvre de Murnau dans le film ? Quels autres films vous ont inspiré ?
Le travail de murnau est important pour chacun d’entre nous bien que certains en soient plus conscients que d’autres. De nombreux films m’inspirent – tout autant d’ailleurs que les histoires racontées par d es proches, comme c’est le cas ici – mais je n’ai pas beaucoup de mémoire et mon souvenir des films est très confus . Ce qui me reste, c’est la sensation des films, ce qui est totalement personnel. Mais le cinéma que je fais n’est pas celui des citations explicites. Plus que tout , j’ai une relation forte avec le cinéma américain classique.
Comment avez-vous travaillé en noir et blanc ?
Nous avons fait un travail de préparation , essayant de comprendre les nuances d’ombres de gris que chaque couleur et gradation de couleur rendrait à l’écran . Rien de très scientifique mais nous photographions le décor, les costumes, les essais de maquillage, les accessoires, etc. en noir et blanc. Lorsqu’il n’y a plus de couleur , la composition et la façon dont l a lumière entre et se diffuse dans le cadre deviennent tous deux essentiels. Mais à un certain point , étant donné que nous avons tous des yeux pour voir, nous mettons la science de côté.