La flèche brisée

 

La fleche briseeLA FLECHE BRISEE (BROKEN ARROW)

de Delmer Daves   USA  1950    93’

FICHE TECHNIQUE:

Réalisation : Delmer Daves  – 
Scénario : Albert Maltz, Michael Blankfort, d’après le roman d’Elliott Arnold Blood Brother – 
Image : Ernest Palmer  – 
Musique : Hugo Friedhofer  – 
Direction musicale : Alfred Newman – Montage : J. Watson Webb Jr.
 –  
Interprétation
 :
James Stewart : Tom Jeffords
   – Jeff Chandler :Cochise
   – Debra Paget : Sonseeahray
  – Basil Ruysdael : Général Howard
  – Will Geer :Ben Slade

SYNOPSIS:
1870, en pleines « Guerres Apaches », le chercheur d’or, ex-soldat de l’Union, Tom Jeffords, se rend à Tucson (Arizona). En chemin, il sauve un jeune Indien blessé par des soldats. Quelques Apaches surgissent et lui laissent la vie sauve, alors qu’ils torturent et massacrent d’autres Blancs.
À Tucson, le colonel Bernall voudrait que Jeffords devienne son éclaireur…

LE REALISATEUR :
Né à San Francisco en 1904, Delmer Daves se destinait d’abord à
une carrière d’avocat. Pendant ses études à la
 Stanford University, il s’intéressa à l’industrie
 bourgeonnante du film, et débuta comme 
accessoiriste sur le western The Covered Wagon en
1923, puis devint conseiller technique sur de
nombreux films. Après la fin de ses études de droit, il 
poursuivit sa carrière à Hollywood. S’installant à
Hollywood en 1928, il commence comme scénariste, crédité une première fois pour la comédie So This Is College produit par la MGM.
Dans les années 1930, il se fit un nom d’auteur à succès, tout en apparaissant comme acteur dans de petits rôles non crédités. Il écrivit les comédies musicales de Dick Powell Dames, Flirtation Walk, et Page Miss Glory entre 1934 et 1935. Mais ses plus grands succès de cette époque vinrent avec La forêt pétrifiée (The Petrified Forest) et Elle et lui (Love Affair). Ce dernier film connaîtra une version en couleurs en 1957 toujours sous la direction de Leo McCarey et Daves au scénario, Elle et lui (An Affair to Remember).
En 1943, Daves réalise son premier film Destination Tokyo avec Cary Grant. Au cours de ses vingt deux années de carrière, il cultive un style classique mais très recherché dans l’utilisation de la lumière, des paysages naturels et des couleurs. Son goût pour le western est également influencé, dans sa réalisation, par sa collaboration avec Mac Carey et le sens du mélodrame.
Parmi ses films les plus remarqués : Les passagers de la nuit (Dark Passage) (1947), qui utilise finement la subjectivité, La flèche brisée (Broken Arrow) acclamé par la critique, le western tendu 3H10 pour Yuma, et le mélodrame A Summer Place. Daves fut nommé au prix de la Directors Guild of America pour son travail sur Cowboy.

PROPOS DU REALISATEUR :
« J’aime beaucoup Broken Arrow parce que j’ai pu montrer dans cette œuvre l’Indien comme un homme d’honneur et de principes, comme un être humain et non comme une brute sanguinaire. C’était la première fois qu’on le faisait parler comme un homme civilisé parlerait à son peuple, de ses problèmes et de son avenir. L’ONU décerna des louanges considérables à ce film parce qu’il présentait un monde où les gens en conflit se respectaient. L’on trouvait des salauds chez les blancs, mais aussi des types recommandables, de même qu’il y avait des Indiens faméliques mais aussi des hommes en qui l’on pouvait avoir confiance. Une vérité première… A partir de ce moment, Hollywood cessa de peindre les Indiens comme des sauvages »

« Je fais des films et des westerns pour les gens dont il est question dans ces films… C’est une joie d’être honnête vis-à-vis de la vérité… Je veux faire comprendre et comprendre c’est d’abord aimer ».

CRITIQUES :
« Ces séquences descriptives sont tellement belles qu’on regrette d’ailleurs que le réalisateur ne se soit pas appesanti plus longuement sur elles comme le fera William Wellman l’année suivante dans le sublime Across the Wide Missouri (Au-delà du Missouri) qui pourtant ne dure qu’à peine 75 minutes. Pour que Broken Arrow me fasse autant jubiler, il aurait peut-être fallu qu’il dure une heure de plus, ce qui paraît plutôt inconcevable pour l’époque. Car là où Wellman pouvait se permettre de prendre son temps, son film se révélant être une chronique, Daves ne le pouvait pas ayant à raconter aussi à simultanément tout un pan d’Histoire. Bref, il existe un certain déséquilibre dans le scénario qui m’a empêché de réellement m’attacher aux personnages ; une succession de scènes longuement dialoguées et d’étonnantes ellipses qui rendent l’intrigue un peu saccadée, manquant d’ampleur et d’intensité.
Mais arrêtons là les critiques car la générosité du propos devrait honnêtement balayer ces défauts ; historiquement, Broken Arrow demeure une date très importante pour le cinéma. Delmer Daves, avec son humanisme généreux et sa profonde honnêteté morale, plaide avec une sincérité qu’il est difficile de prendre en défaut la réconciliation des antagonismes, aborde avec respect et dignité le traitement du problème indien et combat comme il l’a toujours fait toute idée de supériorité raciale. Il cherche à exalter la noblesse et la beauté de ses héros simples, généreux et de bonne volonté qui auront toutefois à lutter contre des moulins à vent, la violence étant tapie au détour d’un chemin, d’un buisson, d’un rocher et surgissant avec une crudité et une force redoutables (fabuleuse séquence de l’attaque de la diligence par Geronimo). La meilleure bonne volonté du monde arrivera difficilement à bout de la haine et des rancoeurs. D’autres chefs apaches (pas forcément pour de mauvaises raisons d’ailleurs) tels Vittorio, Nana, Nachez, Chato ou Geronimo continuèrent le combat. Le choc que provoque la confrontation de scènes douces, lyriques et tendres (que sont celles vraiment magnifiques entre James Stewart et Debra Paget) avec ces quelques accès de fureur est une des constantes du style de Daves et l’un de ses traits de génie qui prendra toute son ampleur dans ses trois westerns consécutifs, sommets de son œuvre, composés de The Last Wagon, Jubal et 3h10 pour Yuma. ( CINECLASSIC )

Daves évite tout manichéisme. La définition que Juan fait à Tom de Cochise – «Ne lui mentez jamais. Ses yeux voient jusqu’au fond du cœur. Il est plus grand que les autres hommes» – donne à la figure du chef indien une aura exceptionnelle. ( PATRICK BRION )

Broken Arrow était le dixième film de Delmer Daves et ce dernier fut dès lors catalogué comme le cinéaste antiraciste d’Hollywood. A tel point qu’ensuite, ses contrats formulaient qu’il devrait désormais toujours raconter des histoires d’amour entre des gens de races différentes !
« La Flèche brisée est un film clair, simple, pour tout dire convaincant. Nulle ambiguïté moderne n’aurait été à sa place ici. Les cartes ne pouvaient être brouillées. C’était une question d’honnêteté, de rigueur. Il fallait imposer au public une version efficace d’une histoire que tant de films avaient compromise malgré quelques précédents heureux comme Le Dernier des Mohicans de Maurice Tourneur en 1922 ». (BERTRAND TAVERNIER)

Un siècle d’Indiens à l’écran
Dès l’origine, la présence, visible ou non, des Indiens est indissociable du western. L’époque du muet est proche des dernières redditions indiennes, et contemporaine (1913) du placement des derniers Apaches dans une réserve du Nouveau- Mexique.
On voit l’Indien plutôt bien traité dans An Indian’s Gratitude de James Young Dee (1909), où il contribue à faire juger un criminel blanc par la loi blanche et D.W. Griffith tourna de nombreux « western dramas » comme The Mohawk’s Way (1910) qui humanise le prétendu sauvage ou The Massacre (1912) qui dénonce le massacre d’un village indien et l’image de Custer. Mais globalement, dès les années 1910, le redskin sera un sauvage qui s’oppose à la civilisation (synonyme de conquête !), un fauve qui massacre et ne parle que par « Ugh Ugh !1».
« Pré-western » de King Vidor, Le Grand passage (1940), montre avec une complaisance exaltée le massacre, en 1759 par des Rangers conquérants, d’un village indien endormi. Jean Narboni révèlera aux lecteurs de Cinéma 012 (automne 2006) l’autoaccusation de Vidor devant Delmer Daves « d’avoir fait preuve de racisme envers les Indiens », confidence de Raymond Bellour qui en fut témoin en 1976. Autre « pré-western » raciste, Les Conquérants du nouveau monde de Cecil B. DeMille (1947) expose clairement, dans le commentaire off du début, la mission civilisatrice en 1760 dans les terres sauvages de l’Indien stupide et bestial incarné par Boris Karloff !

Changement de cap
Avant La Flèche brisée, quelques films marquent déjà un tournant idéologique. On passe d’une image simplifiée de l’Indien, d’une brutalité et d’un mépris qui illustraient le sens « normal » de l’Histoire, à un regard critique, qui fait entrer une morale, donc l’immoralité dans la signification même de la conquête et de sa mise en œuvre. On ne montre plus, on dénonce. Si Henry King est un précurseur (Ramona, 1936), William Wellman dans Buffalo Bill (1944) légitime l’entrée en guerre des Cheyennes face au massacre des bisons qui les affame.
Mais ce sera après le film de Daves que le mouvement de réhabilitation se répan- dra. De La Porte du diable et L’Homme de la plaine d’A. Mann à Bronco Apache de R. Aldrich et La Captive aux yeux clairs d’H. Hawks, du Jugement des flèches de S. Fuller à La Dernière chasse de R. Brooks, Jeremiah Johnson de S. Pollack, Little Big Man d’A. Penn et Danse avec les loups de K. Costner, le cinéma (y compris dans l’épique Conquête de l’Ouest de Ford/Hathaway/Marshall en 1962) redonne leur dignité aux Indiens. En 2005, Le Nouveau monde de Terrence Malick raconte, métaphore de la naissance d’une nation, l’histoire d’amour en 1617 entre le capitaine Smith et l’Indienne Pocahontas, sortes de Roméo et Juliette fondateurs. En 1992, l’atypique « post-western » de Michael Apted Cœur de Tonnerre se sert du polar pour pénétrer dans une réserve du Dakota un siècle après la soumission d’un peuple brisé.

Le « cas » John Ford
Dès 1939 dans La Chevauchée fantastique, même si les Indiens sont toujours des « bêtes fauves », John Ford leur accorde que le Blanc viole leur territoire. Puis, malgré sa fascination pour la cavalerie américaine et sans renier son idéologie, il en fera des interlocuteurs ; son respect pour l’identité des Indiens et la légitimité de leur combat va se montrer réel (Le Massacre de Fort Apache, 1948, La Charge héroïque, 1949) ; il admet aussi leur ouverture au dialogue et à l’hospitalité (Le Convoi des braves, 1950). Dans La Prisonnière du désert (1956), la lutte pour la Blanche Natalie Wood enlevée et élevée par les Comanches devient un drame humain où le point de vue de l’Indien a toute sa place (en 1960 dans Le Vent de la plaine de J. Huston, ce sera l’Indienne adoptée par les Blancs qui sera l’enjeu, avec Burt Lancaster en Blanc antiraciste). Dans son dernier western, Les Cheyennes (1964), Ford se placera délibérément de leur côté : « C’est une véritable tache dans notre histoire. Nous les avons roulés, volés, tués, assassinés, massacrés et si, parfois, ils tuaient un homme blanc, on leur expédiait l’armée. » (Cahiers du cinéma)

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