Born to be blue
de Romain Budreau (2017) Canada 1 h 38
Avec Ethan Hawke, Carmen Ejogo, Callum Keith Rennie
Synopsis :
Le jour où il est passé à tabac, la vie de Chet Backer bascule. Les mâchoires fracassées, il se voit contraint de laisser derrière lui sa carrière de trompettiste de jazz. Avec à la clé, la dépression et l’appel irrépressible de la drogue. Mais Jane, sa compagne, ne l’entend pas de cette oreille : la seule addiction qui vaille, c’est la musique. Il doit se ressaisir et regagner par son talent la reconnaissance de ses pairs.
Biographie :
Chesney Henry Baker Jr, né en 1929 dans l’Oklahoma, il accède rapidement à la célébrité au début des années cinquante aux côtés de Charlie Parker et de Gerry Mulligan. C’est un musicien brillant, quasi autodidacte, qui se laisse guider par son oreille. Sa belle gueule en fait la figure de proue du cool jazz de la côte Ouest, les filles lui courent après. Mais on trouve sa musique trop classique et le garçon trop inconstant. Les musiciens noirs jugent scandaleux que Baker soit plus célébré que Miles Davis ou Horace Silver . Il vit quasiment en clochard, fait de la taule. Son salut viendra de l’Europe, notamment de l’Italie où il entame une nouvelle carrière à la fin des années cinquante, sa culpabilité suite à la mort de son pianiste d’une overdose le fait replonger dans l’errance.
Vraiment défoncé, Chet était pratiquement incapable de jouer. Il touche le fond du fond à la fin des années soixante, de retour aux Etats-Unis. Menus larcins, éphémère boulot de pompiste, disques lamentables. Après s’être fait casser la gueule par des dealers à San Francisco, il doit porter un dentier. Pas idéal pour jouer de la trompette. Puis il repart à l’attaque en Europe où, à partir de 1974, il commence à produire sa meilleure musique : c’était son avis, et il est largement partagé.
L’ange a désormais une gueule de spectre, sa voix féminine d’hier s’est beaucoup voilée, sa consommation hebdomadaire d’héroïne suffirait à décimer un troupeau. Mais jamais son jeu et son chant n’ont été empreints d’autant de sensibilité. Sa vie se termine Le vendredi 13 mai 1988, vers 3 heures du matin, à l’hôtel Prins Hendrik à Amsterdam où il se jette ou tombe du deuxième étage.
Critiques:
À rebours de la plupart des films du genre, qui offrent une grille de lecture aussi psychologisante qu’étriquée des destins d’artistes, Born to Be Blue livre un Chet Baker en ahurissante victime d’un tragique fatum. Il tente moins d’expliquer l’origine de ses failles que de montrer en quoi celles-ci, œuvrant continuellement à ses chutes et rechutes, nourrirent aussi une formidable volonté de reconquête, à travers l’approfondissement douloureux – destructeur même – de chaque note…… Portant de bout en bout ce film sensible et intelligent, Ethan Hawke livre une prestation époustouflante, chantant lui-même certains morceaux dans des scènes aptes à susciter une émotion bien réelle, comme ce Funny Valentine du temps de la renaissance, donnant la chair de poule. Le film doit aussi beaucoup au quatuor chargé de la partition musicale, formé par le pianiste David Braid, avec Kevin Turcotte à la trompette, Steve Wallace à la basse et Terry Clarke à la batterie. La Croix
Born to be blue, d’un bleu couleur spleen, est avant tout l’histoire d’un homme hanté par ses démons, aimanté par les abîmes. L’intrigue, sans fioritures, sert une réflexion sur les ressorts de l’inspiration artistique. Chet Baker n’est pas un maestro de la technique, mais il crée ce son qui n’appartient qu’à lui. Dès lors qu’il improvise, ses notes s’envolent. Sa virtuosité est-elle innée ou déclenchée par l’usage de la drogue ? Question épineuse, sulfureuse, qu’heureusement ce film délicat ne tranche jamais. Pierre-Julien Marest
Le film organise dès lors un suspens qu’il nourrit par un certain nombre de scènes d’une trivialité parfois prenante. Le trompettiste prodige, devenu, hélas, une icône pour midinettes à la fin de sa carrière, y prend une dimension humaine indiscutable. Les moments sentimentaux (va-t-il conserver la femme qu’il aime ou sombrer à nouveau dans la drogue ?) y sont lestés d’une intensité plutôt réussie. Intensité qui marquera la séquence finale avec un tact appréciable. Le Monde
Créatif et imaginatif, tant sur la forme que sur le fond, le film de Robert Budreau parvient à s’élever vers le panier des meilleures œuvres du genre, grâce à son intelligence, sa sensibilité, son élégance, grâce au pouvoir de fascination qu’il exerce sur le spectateur et grâce au supplément d’âme qui l’habite. Le portrait qu’il dresse tourne parfois un peu en rond, mais jamais assez longtemps pour nous faire décrocher. Une réussite. Nicolas Rieux
Robert Budreau nous propose un faux biopic de Baker, faux car le film retrace un instant de vie imaginée de l’artiste fondé sur des faits réels. Ethan Hawke l’explique ainsi : « C’est difficile à décrire, mais disons que si vous êtes tranquille dans votre chambre et que vous mettez un disque de Chet Baker, ce film est celui que vous imagineriez. Il est fidèle à son esprit. (…) C’est une façon de revendiquer l’absence de vérité objective d’un bio pic, car nos vies ne sont pas des narrations linéaires avec un début, un milieu et une fin ». Born to be blue est un instantané d’une période de sa vie entre rédemption et rechute. Sarah Bench